Chapitre
III. LE DESSIN DE PRESSE: UN ARTISANAT
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Préambule
Ce chapitre est consacré à une approche relativement
concrète de l'activité de dessinateur de presse,
telle qu'elle s'exercerait au cours d'une journée type.
Reposant en partie sur la comparaison du dessin de presse à
un métier d'artisan, cette description de la procédure
de réalisation d'un dessin s'articule autour de huit thèmes
de base qui seront pour nous l'occasion de mener quelques réflexions
sur la profession en général: De quel matériel
et de quelles connaissances le caricaturiste dispose-t-il? Quels
processus sont mis en place lors de la recherche des idées?
A quoi sert le dépouillement formel du dessin? Mais aussi,
et toujours plus concrètement: Quels problèmes peuvent
survenir à l'impression? A combien se monte le prix d'un
dessin? De quels moyens dispose le caricaturiste pour évaluer
la qualité de son travail?
©aster1998
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§1.
Artisan
Jusqu'à
présent, nous avons assimilé le dessinateur de presse
à un artiste et, dans la plupart des cas, il l'est en effet
par sa formation, ses préoccupations esthétiques
et ses autres domaines d'expression. Mais il est peut être
plus juste de l'envisager comme un artisan. Ce terme est
d'ailleurs souvent préféré à celui
d'artiste par les dessinateurs eux-mêmes (1). Le monde de
la presse est un marché. Le caricaturiste, un indépendant,
parfois constitué en mini-société (Kroll,
Franx, Lejeune,
) est soumis à une demande de la part
des responsables des publications dont il parle d'ailleurs en
terme de clientèle. Sa démarche est assurément
commerciale - Saive parle d'une "approche marketing"
- et son succès conditionné par l'équilibre
entre l'expression de ses idées personnelles, la mise en
valeur des opinions du journaliste dont il illustre le papier
ainsi que le respect des valeurs défendues par l'ensemble
de la rédaction auxquelles adhère généralement
le lectorat.
Concrètement, le dessinateur passe un contrat oral (parfois
suivi d'un bon de commande) avec le rédacteur en chef,
qui a pris soin de fixer les clauses de sa collaboration (2) et
de préciser les échéances. Ensuite, il est
mis en contact avec les journalistes qui l'informent au jour le
jour, par téléphone ou par fax, des rubriques ou
des articles à illustrer. Le dessinateur veille également
à prendre connaissance de certains paramètres techniques
tels que le format de parution de son dessin, tantôt strict,
tantôt approximatif, la couleur (polychromie, monochromie,
demi-teintes,
), la présence ou non d'un cadre, d'une
légende, d'un copyright, etc. mais aussi des caractéristiques
formelles de la publication, celles-ci allant de la qualité
du papier à la présence éventuelle d'autres
dessins. Au point de vue du contenu, le caricaturiste se réserve
le choix des idées et une discussion avec le journaliste
vise tout au plus à parfaire sa compréhension du
thème ou à mieux cerner la liberté de ton,
de style et d'opinion qui lui est permise. Enfin, comme un artisan
connaît ses clients afin de pouvoir fournir un produit sur
mesure, le caricaturiste a tout intérêt, sous peine
de "censure", à s'informer de la tendance, du
ton, de la ligne rédactionnelle du journal qui l'emploie.
1)
D'après un constat suite à la lecture de l'ouvrage
de Michèle VESSILIER-RESSI La condition d'artiste, regard
sur l'art, l'argent et la société, Paris, Maxima
Laurent du Mesnil, 1997.. Cette préférence pour
le terme d'artisan a également été exprimée,
spontanément, au cours de nos entrevues.
2) Une des conséquences de la Loi sur les droits de l'auteur
du 30 juin 1994 est en effet "la stricte description (
)
de la rémunération de l'auteur et de l'étendue
et de la durée de la cession" in Tarif 97-98, éd.
de la SOFAM, Bruxelles, 1997, p.7.
§2. Matériaux de base
Afin
de mieux comprendre la pratique de la caricature de presse, nous
n'irons pas jusqu'à détailler les types de papier,
d'encre, de peinture utilisés, et prendrons la notion de
matériau dans un sens figuré. Comme le journaliste-rédacteur,
la matière première du dessinateur attaché
à un quotidien est tout ce qui, dans la réalité,
se produit, arrive ou apparaît, en un mot, c'est l'événement.
C'est "ce qui advient", à une certaine date,
dans un lieu déterminé. Et plus cet événement
comprend de l'insolite, du suspect ou du révoltant, plus
il est porteur d'une plus-value pour le caricaturiste. Sinon,
celui-ci le confronte à une autre situation jusqu'à
ce que les idées se télescopent et génèrent
l'humour, la prise de conscience, la surprise, le changement d'attitude.
Mais, ce matériau disponible à l'atelier ou au "desk"
n'existe que parce qu'en amont, le reporter de terrain a saisi,
dans l'écoulement des choses, ce qui deviendra l'information.
Comme le dit Bernard Voyenne, "la presse suscite l'événement"
(1), lequel n'existe pas en soi. Ainsi, au contraire du journaliste
(dans son acception la plus large) qui va au devant de l'actualité,
le dessinateur laisse l'événement venir à
lui, déjà institué comme tel, filtré,
coloré, sélectionné. Dans le meilleur des
cas, l'information qu'il doit illustrer est déjà
in-formée, présentée en un texte, relativement
objectif, que lui transmet un journaliste. Mais ce n'est pas le
cas le plus fréquent dans la presse quotidienne où
le dessinateur est tenu au courant de l'actualité chaude
par téléphone. Dans ce cas, il subit déjà
l'influence de son interlocuteur qui, par son enthousiasme, ses
intonations, ses allusions et ses explications, oriente sa perception
de l'événement. Par ailleurs, un fait n'acquiert
un caractère événementiel que par rapport
à un contexte. Devant être maîtrisé
"à fond", il constitue une autre grande source
d'inspiration. Par conséquent, le matériau de l'artisan,
ou sa cible, c'est aussi tout un tissu social, peuplé de
personnalités reconnues et d'êtres anonymes, les
systèmes de pensée, la langue, l'histoire, etc.
On comprend dès lors l'importance que revêt la culture,
entendue comme somme de savoirs. Pour ceux qui ne se bornent pas
à exprimer dans leurs dessins le point de vue candide de
Monsieur-tout-le-monde, suivre de près l'actualité
est une nécessité quasi existentielle et déterminante.
C'est en effet leur maîtrise de l'information (politique)
qui leur garantit la pertinence et l'efficacité, et surtout,
qui les distingue des autres artistes illustrateurs, parfois graphiquement
supérieurs, qui cherchent à s'imposer sur le marché
de la presse.
Concernant les médias privilégiés, s'il n'est
pas faux d'affirmer que "les journaux sont la toile de fond
de leur vie et la substantifique moelle qui engraisse leur trait"
(2), il ressort de notre analyse de leur emploi du temps (au cours
d'une journée type) que les dessinateurs de presse tirent
quelquefois de plus grands avantages de la radio et de la télévision,
belges et étrangères. Les journaux radiodiffusés
ont, grosso modo, un jour d'avance sur la presse écrite
et peuvent être suivis dès le réveil ou durant
d'autres activités. Les journaux télévisés,
quant à eux, déterminent pour une bonne part la
connaissance standard que le public a de l'actualité, et
constituent une grande source d'inspiration pour les "iconophages"
(Clou) que sont les caricaturistes. Comme nous le verrons dans
la partie consacrée à sa fonction d'observateur,
le regard qu'il pose sur l'information est tout à fait
particulier et varie en fonction de sa spécialité.
Wolinski affirme: "Je lis les journaux comme si je me promenais
en forêt avec un fusil"(3). Moins acerbe et à
son opposé sur l'échiquier idéologique français,
Faizant avait coutume d'évoquer cette curiosité
du dessinateur humoriste par sa pensée matinale (face à
sa pile de journaux): "Avec quoi vais-je m'amuser aujourd'hui?"
(4)
1)
In COLTICE, Jean-Jacques, Comprendre la presse. Informer
hier et demain, préface de Jean-Marie Charon, coll.
"Savoir Communiquer", éd. Chronique sociale,
Lyon, 1995, p.28.
2) LABE, Yves-Marie in SIEGMANN, Tristan, Traits, portraits,
Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1991, p.9.
3) Rapporté par BERGER, Françoise, Treize dessinateurs
autour de la cène politique, in Libération,
20 novembre 1984, p. 13.
4) DAUBERT, Patrick et VASSEUR, Didier, Didier, Trimédia
Spécial Dessin politique, in Trimédia, n°16-17,
été-automne, éd. de l'Ecole supérieure
de Journalisme, Lille, 1982, p.7.
§3. Outillage (commander
le texte à l'auteur)
§4. Savoir et savoir-faire (commander
le texte à l'auteur)
§5. Réalisation (commander
le texte à l'auteur)
A)
L'idée
B) La forme
C) La signature
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